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ttyemupt
7 septembre 2012

Henri Mondor, Précocité de Valéry (1957)

Sa préhistoire

 Je renonce aux cuivres ou aux couleurs d'un panégyrique désormais inutile, pour me pencher, scrupuleusement, sur le fait Valéry, c'est-à-dire, à travers quelques années de son enfance, avant la souveraineté progressive d'une intelligence, sur les toutes première étapes de son ascension.

 Avant même que Paul Valéry ait atteint sa majorité, il est agréable de montrer le collégien, l'étudiant en droit, le fantassin irrité, l'ami éblouissant, le fidèle des pompes liturgiques, un amour platonique et redouté, enfin, un écrivain-né pour lequel les découvertes d'Edgar Poe, de Huysmans, surtout de Mallarmé, ont particulièrement compté et très tôt.

 Par les dates et le rappel des cadres géographiques, l'étude de scolarité peut se diviser en deux parties: l'une à Sète, l'autre à Montpellier. Même en se gardant des anticipations faciles ou tentantes, cette extrême jeunesse, sa "préhistoire", comme disait le poète en riant, n'est pas sans annoncer, par quelques éclairs, l'homme extraordinaire et cet alliage, en lui, de supériorité et de simplicité, d'esprit si clair et de musique enchanteresse, de conscience impatiente et d'art très gouverné, qui charmait irrésistiblement. 

 La curiosité des premiers chemins et des pas ne date pas d'hier. Les enfants précoces, non plus. Avant de savoir l'orthographe, Gustave Flaubert écrivait des comédies, et à dix ans, préférait préparer des romans: La Belle Andalouse, Le Bal masqué, Cardenio, Dorothée, La Mauresque, Le Curieux Impertinent, Le mari prudent. Il prenait des notes sur don Quichotte. A treize ans, il terminait un roman historique sur Isabeau de Bavière. Faut-il dire: vocation?

 Pendant des années, plusieurs biographes avaient su faire part à Valéry de leur recherche d'éclaircissements. Peu à peu, ils avaient eu raison d'une pudique résistance et obtenu, d'une aménité parfois inquiète, souvent badine, mais naturellement gracieuse, quelques précieux documents: sur lui, exactement, qui souhaitait que, d'un écrivain, le travail seul importât au public, se plaisait à espérer que l'histoire d'un esprit se pût distinguer ou isoler de celle d'une vie et surtout se vît préférer à celle-ci. Mais il est sans doute moins facile de cacher tout à fait un coeur que ne le souhaitaient un cerveau très vite épris de sa rigueur et une sensibilité presque d'emblée ombrageuse. Il est des palpitations que rien n'étouffe ou ne fait oublier et des empreintes trop enfouies pour le contrôle d'introspection ou la censure de la volonté. Sur sa première jeunesse, le poète le moins enclin à faire de la littérature avec ses sentiments a publié, sans parvenir à voiler son émotion, de charmantes confidences. A leur tour, qu'elles nous donnent, en ces évocations délicates, quelque indication du ton !

 Paul Valéry se défiait des biographes et crut les voir, en général, plus occupés, face au modèle, de la personne que du personnage. Or, pour lui, une personne, qu'était-ce? Il l'a précisé avec humeur: "Un nom, des besoins, des manies, des ridicules, des absences; quelqu'un qui se mouche, qui tousse, mange, ronfle et caetera, un jouet des femmes, une victime du chaud et du froid, un objet d'antipathies, de haines ou de railleries." De mauvaises pensées en pensées pires, Valéry aggravait les définitions et disait du biographe commun: "Il compte les chaussettes, les maîtresses, les niaiseries de son sujet. Il fait en somme précisément l'inverse de ce qu'a voulu faire toute la vitalité de celui qui s'est dépensé contre ce que la vie impose de viles ou monotones similitudes à tous les organismes et de diversions ou d'accidents improductifs à tous les esprits."

 Rassurons, même aujourd'hui, une susceptibilité légitime de grand homme exposé à tant d'indiscrétions, de trahisons; détournons-nous des déshabillés, des hochets, des faiblesses et de cette  ressemblance avec autrui dont a souffert, de tout temps et avant tout, l'âme des poètes.

*

(...)

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